En Syrie, la population commence à perdre espoir sur la fin proche du conflit. La mort n'est plus seulement un fait de la vie, elle est dans le quotidien,; familière, proche, presque imminente; la population se prend à la défier ; la mort ne fait plus peur ; les habitants sont devenus moins craintifs mais paradoxalement le désir de vivre est moins vif. Il arrive bien à ceux qui sont toujours à Alep, Homs, Harasta, de se dire qu'il vaut peut-être mieux mourir que de vivre sans abris, sans
pain, sans dignité humaine.
Les enfants eux ne se posent pas si crûment la question de la mort. En revanche, ils flirtent avec elle, en jouant à se faire peur dans les quartiers
chrétiens d’Alep. Dans leurs jeux, ils se regroupent en soldats de l’Armée arabe syrienne et en combattants de l’Armée
Syrienne Libre. Ils se fabriquent de fausses armes, mais y mettent parfois du vrai en se maltraitant.
On dit qu'un tiers de la population d'Alep a quitté la ville. Les citoyens restés sur place, font partie de la catégorie sociale qualifiée autrefois de moyenne mais aujourd'hui sensiblement appauvrie au point qu'elle n'a plus les moyens de sortir de Syrie. En revanche, ses membres espèrent et
attendent l’aide qui arrive avec parcimonie, laissant de nombreuses familles en détresse. Les familles qui ont laissé la ville d'Alep et y sont revenues ne sont pas mieux loties; certaines, par exemple, ont fait le voyage de l'Arménie, pour n'y trouver qu'un pays n'offrant pas de travail, où la corruption est presque aussi répandue qu’en Syrie.
L'émigration ne réussit pas à tous, notamment à ceux qui ont
fait le choix de laisser la Syrie pour le Liban et qui n’ont même plus les moyens d’y
revenir car, dans le pays voisin, la vie est très chère et les a dépouillés. Mais quel dilemme pour la population chrétienne alépine tentée par le départ ou la demeure sur place, surtout après
les dernières déclarations des partis « djihadistes » qui appellent à
fonder une République Islamique de Syrie. Que faire ?
Dans le quotidien alépin, la vie est devenue
insupportable. Les habitants ne sortent plus que pour acheter du pain. Il faut
dire que cette sortie demande cinq heures de files d’attente. Le reste du
temps, les sorties de chez soi, n'ont pour but que de visiter les proches. En revanche, avec la tombée du jour,
tout le monde est terré chez soi car les quartiers contrôlés par l'armée sont quadrillés de barrages.
Les modifications du mode de vie et de l'environnement, dans les derniers
mois, ont été impressionnants. A Alep et dans ses environs, près de six cents usines ont été pillées et volées. Des bandes armées provenant de Turquie se sont emparées de précieuses machines. Près de 60% de la ville d’Alep
est détruite. Les fameux souks, si réputés jadis, sont détruits à hauteur de 50%. Alep viendrait en troisième place après Berlin et Stalingrad dans le classement des villes les plus détruites. Près d’1,5 millions
de personnes n’ont plus d’abris ou de maisons. La monnaie
s’est considérablement dépréciée. Le dollar et l'euro atteignent des records ($1=L.S.88)
et (€1=L.S.110). Les marchandises et denrées alimentaires de base ont vu leurs prix quintupler. De très nombreux médicaments restent introuvables après la destruction des
usines pharmaceutiques.
Le pays avance dans l’hiver ; le mazout et le gaz manquent ; le chauffage au bois n’est pas courant dans le pays. Il n’y a plus que les réchauds électriques et les couvertures pour se chauffer. Heureusement et c’est la rançon du malheur, les rapports entre
voisins restent bons, imprégnés d'attention et de solidarité. Pour les urgences, il ne reste plus d'ambulances, de police ou de pompiers. Les voitures piégées sont si destructrices ; elles ne sont pas suffisantes, semble-t-il,
puisqu'elles sont généralement suivies de tirs de fusée Hawn comme pour venir achever le mort.
Au fil des mois, la situation se
dégrade ; c'est le pourrissement et le monde y assiste comme le sphinx dans le désert. A Alep, l’armée syrienne ne parvient pas à pénétrer dans la vieille
ville tandis que d'autres quartiers, occupés par les djihadistes (Al Nasra), deviennent des sanctuaires islamistes.
Les conscrits du service
militaire restent terrés chez eux ; des soldats désertent ou collaborent avec l’Armée syrienne « Libre », par
besoin d’argent ou par conviction. Au
milieu de la désagrégation, il se trouve encore des personnes de bonne volonté
qui prennent des risques pour se manifester à des amis et des proches ; quel courage ont ces bédouins qui ont traversé des
barrages de l’ASL pour venir entourer une famille chrétienne éprouvée. La misère est présente, croissante, destructrice et
avilissante sur tous les plans.
La jeunesse ? Son comportement est
désormais conduit par le besoin de manger et de s’héberger. Des jeunes chrétiens de plus en plus nombreux s’enrôlent dans les comités populaires (Chabihas) pour soutenir l’armée.
La solde qui leur est versée est de 15.000 livres syriennes (€200) par mois. D’autres tentent de vendre de l’essence
en contrebande ou s’improvisent vendeurs de légumes ambulants ; enfin, il
y a ceux qui essayent de quitter le pays par la Turquie. Quel vide ! Quel désastre spirituel, humain,
matériel…. ! Que de jeunes sur la pente négative ! Le
caractère des personnes change…les instincts dominent....; au plus grand désespoir des familles, des
jeunes commencent à s’adonner à la drogue introduite par les salafistes tandis que
les jeunes filles sont sous la menace constante du viol. La fatwa du renégat Qatari, le dénommé « al-Qurdawi »
protège les violeurs en accordant le droit de violer les filles alaouites et
chrétiennes avant de les tuer. Pourquoi la France qui entretient de si bon rapport avec le Qatar, ne demande t-elle pas qu'on le fasse taire ?
Et les écoles au milieu de cela ? Il faut dire que les deux tiers des écoles publiques abritent des réfugiés ; les autres établissements sont vides. Les écoles chrétiennes, situées hors de la ville ont, quant à elles, créé des classes au sein des Eglises et dans les paroisses pour assurer les cours, tandis que les universitaires semblent avoir perdu leur année.
La question du départ et de l'émigration revient sans cesse...le dilemme....Certaines familles cherchent à
partir certes, mais tout n'est pas réglé par le départ. La question est pour quelle destination ? La Suède, le Venezuela, l'Australie ou le Canada ? Ce sont les pays les plus attirants ; mais partir, ce peut-être se ruiner. A Alep aujourd'hui, tous logement laissé est un logement prisé par les réfugiés qui s’y installent sans intention de le rendre. Vendre son bien ? Impossible. Il n’y a plus d’autorité, plus d’administration,
plus de justice pour permettre les transactions.
La question du retour, est celle que se posent des familles parties s’installer au
Liban, en Arménie ou en Jordanie; elles reviennent au pays car la terre d’accueil est peu sûre. Le dernier attentat de Beyrouth qui a tué le chef des renseignements, W. Hassan, a dissuadé des chrétiens à rester sur place et puis le coût
de la vie au Liban vient les déterminer à partir.
Mais quelle est la véritable situation sécuritaire à Alep ; quelle place occupe l’armée arabe syrienne ? On peut dire que cette dernière est présente surtout dans les quartiers chrétiens à travers la garde républicaine formée des soldats les plus fidèles au régime. Elle occupe 25% de la ville seulement mais s'appuie toujours sur l’aviation pour tenter
de déloger les rebelles salafistes des quartiers de la ville.
Ailleurs hors d’Alep ? Pour les chrétiens, l’attention
se porte sur la ville de Qamichli située dans le Nord-Est du pays, où très vraisemblablement, se prépare un scénario similaire à celui de Ras-El-Ain, avec ultimatum aux chrétiens
pour quitter la ville et exécution de la menace, peu de temps après. Actuellement les habitants
des villages chrétiens de la région, en particulier de ceux qui se trouvent sur le fleuve Khabour, trouvent refuge dans la
ville de Hassakeh.
Des nouveaux acteurs dans le conflit ? Des intégristes de toutes sortes, des bandes armées diverses foisonnent et agissent pour le compte de parrains tenus secrets. Ils sèment la terreur et égorgent de simples et modestes citoyens au nom d’Allah. Nous revivons les premiers temps de l’Islam avec les ultimatums du prophète et de ses hommes appelant à la conversation sous menaces d’être passé par le fil de l’épée. La peur règne sur l’ensemble
du territoire....L’histoire se
répètera-t-elle ?
Dans cette mêlée, comment rester
informés ? La population chrétienne s'accroche à certains media, dont le panorama a quelque peu changé : Elle s'informe auprès d'« Al Mayadine »
qui est bien apprécié mais aussi par l'écoute de deux autres chaines « Ikhbarieh »
et « Dounia ». A ces chaînes sympathiques aux chrétiens, sont venues se greffer des chaines "salafistes" « Al-Barada », « Al-Sharq », « Al-Jazira » et « Al-Arabia » ;
Le Net prend une place de choix avec « Taht al-Mihjar » et « Akselser »
mais aussi « Alep News » et « Akhbar as-Syrian » sans
omettre les réseaux-sociaux tels que Facebook.
Pour conclure, quel constat faisons-nous ? Dans une guerre comme celle-ci, l’espoir
est dans le détail, dans les gestes d'amitié, dans l’attention délicate, dans l'inconnu qui se présente et tend une main….L’espoir
n’est ni auprès des gouvernements, ni dans les grands discours politiques, ni dans les ambitieux qui pointent leur nez dans les medias. Aucun d’eux n’a réussi en enrayer le conflit. Aucun Etat, aussi
puissant qu’il ne prétend être n’a réussi à faire passer l'humain avant les considérations géostratégiques, et à stopper ainsi la marche vers la destruction de la Syrie.