Cet article est paru sous un autre titre : "USA : pourvoyeur de terroristes et fauteur de guerre en Syrie". Nous avons préféré lui substituer la forme interrogative afin de permettre au lecteur de découvrir par lui-même la réponse.
Jadis, l’Occident menait la Guerre Sainte pour répandre le
christianisme et la civilisation. Aujourd’hui, la religion nouvelle s’appelle «
droits de l’Homme », « démocratie » ou « protection des civils ». Au nom de ses
valeurs et de ses intérêts, l’Occident, Etats-Unis en tête, ne recule devant
aucun sale coup : financement de groupes d’opposition et de filières
terroristes, désinformation, opérations psychologiques (Psyops), livraison
d’armes, formation de mercenaires, actions de sabotages et de déstabilisation,
embargos et sanctions, attentats ciblés, attentats aveugles et au besoin,
bombardements massifs.
Si la Syrie est aujourd’hui dans la ligne de mire de nos Etats, ce n’est
certainement pas parce que le régime maltraite ses opposants. Nous avons vu en
effet comment nos élites pouvaient faire preuve de compassion et d’indulgence
envers leurs alliés régionaux qui ne sont pas moins violents comme le régime de
Tel-Aviv, celui d’Ali Abdallah Saleh au Yémen, de Ben Ali en Tunisie, celui des
Saoud au Royaume du même nom ou celui des Al Khalifa au Bahreïn.
D’abord, la Syrie paie le prix de son attachement à sa souveraineté
nationale. C’est le dernier pays arabe capable de résister au courant
néoconservateur qui déferle avec le soutien de l’Occident sur les pays de la
région à la faveur du « printemps arabe ».
Ensuite, la Syrie subit des représailles pour son insoumission à Israël.
L’alliance stratégique que Damas a tissée avec l’Iran et les organisations de la
résistance libanaise et palestinienne est un crime grave et sans appel aux yeux
de nos élites. Officiellement en état de guerre avec Israël, l’Etat syrien est
de surcroît doté de la dernière armée arabe capable de résister à la
superpuissance de Tsahal.
Tous les mémorandums altruistes de l’Occident sur la Syrie ne servent qu’à
dissimuler ces deux réalités. Pour se rendre compte de l’imposture humanitaire,
est-il besoin de rappeler l’aveu d’Henry Kissinger, ancien secrétaire d'Etat
sous le président Ford, affirmant que « les grandes puissances n’ont pas de
principes, seulement des intérêts » (cf. Georges Soros, On Globalization, New
York Review of Book, 2002, p. 12) ?
Nous aurions bien voulu croire que la mission de nos élites soit de répandre
le Bien. Mais nous pensons avoir le droit d’être sceptique quant aux intentions
et aux moyens mis en œuvre en Syrie par ceux-là même qui nous avaient tant
promis l’avènement de la démocratie en Afghanistan, en Irak ou en Libye.
La Libye pour ne citer que cet exemple a curieusement disparu de nos
écrans-radars alors que les milices y font régner la terreur et procèdent à une
épuration ethnique et religieuse méthodique. Des dizaines de milliers de
prisonniers politiques accusés de loyauté envers l’ancien régime et d’émigrés
subsahariens croupissent dans plusieurs prisons secrètes. Ces détenus sont
quotidiennement torturés et parfois assassinés dans l’indifférence générale.
Tous les jours, des attentats sont commis par des inconnus et des règlements de
compte opposent des bandes rivales. Les tombeaux des saints considérés comme
« hérétiques » sont détruits un à un sous le regard bienveillant des nouvelles
forces de « sécurité » (cf. De Morgen, 30 août 2012). Bref, la Libye est en
pleine voie de « somalisation ».
Depuis dix-neuf mois, un feu destructeur ravage la Syrie. Affirmer que ce feu
est alimenté par la seule intransigeance et la seule brutalité du pouvoir syrien
est parfaitement malhonnête. Car ce feu n’est ni une nouveauté ni exclusivement
dû à des facteurs intérieurs. Ce feu est en effet entretenu sous forme de guerre
larvée par les puissances occidentales depuis la libération de ce pays en 1946
du joug français. Soucieuse de restaurer leur tutelle sur la Syrie, ces
puissances coloniales ont indirectement contribué à la militarisation de ce pays
en soutenant la création et l’expansion d’Israël (1948) ainsi que toutes les
pétromonarchies du Golfe dont le discours religieux sectaire s’avérait utile
face au panarabisme prôné entre autres par l’Egypte de Nasser et la Syrie
baassiste. En avril 1949, pour établir leur hégémonie sur la Syrie et soulager
Israël, les USA ont soutenu le coup d’Etat du colonel Za’im. En 1957, soit bien
avant l’avènement de la Syrie d’Hafez el-Assad, l’axe américano-britannique a
planifié d’assassiner trois dirigeants syriens jugés trop pro-soviétiques (cf.
Ben Fenton, The Guardian, Macmillan backed Syria Assassination Plot, 27
septembre 2003). A l’époque, tous les plans de renversement du régime baassiste
ont été envisagés par la CIA et le SIS (MI-6) : organisation de troubles, appels
à l’insurrection, création d’un « Comité Syrie Libre », armement de
l’opposition, « activation des Frères Musulmans à Damas ». Bien naïf serait
celui qui nierait la similitude entre cet épisode de l’histoire syrienne et la
situation actuelle.
Revenons un moment sur le traitement de l’information à propos des événements
récents. A partir de mars 2011, profitant de l’agitation naissante dans le pays,
nos experts en communication ont exagéré le poids de l’opposition et l’ampleur
de la violence d’Etat tout en minimisant le réel soutien populaire dont dispose
le gouvernement de Damas ce que d’ailleurs l’ambassadeur de France en Syrie Eric
Chevalier n’a pas manqué de reprocher à son ministre Alain Juppé. On nous a
sciemment caché la militarisation d’une partie de l’opposition syrienne et la
présence de groupes terroristes s’infiltrant depuis le Liban, une réalité
pourtant constatée dès le mois d’avril 2011 par des journalistes d’Al Jazeera,
la chaîne qatarie. La censure imposée par le patron d’Al Jazeera alias émir du
Qatar sur les événements qui révéleraient la conspiration anti-syrienne a
contraint ces journalistes à faire « défection » pour utiliser un terme que l’on
nous sert toujours à sens unique.
Qui plus est, à vouloir dénoncer systématiquement la propagande de l’Etat
syrien, la presse mainstream occidentale a soit gobé soit alimenté la propagande
de l’opposition radicale allant jusqu’à déguiser des massacres de soldats ou de
civils par des terroristes en « crimes de la dictature » comme à
Jisr-Al-Choughour (juin 2011), Houla (mai 2012), Deir Ez Zor (mai 2012) ou
Daraya (août 2012). On peut en conclure que l’Occident mène au moins une guerre
psychologique contre la Syrie.
Est-il cependant raisonnable de croire que l’Occident n’est pas militairement
engagé dans ce pays ?
En automne de l’année dernière, lorsque le gouvernement syrien a appelé les
conjurés à déposer les armes, Victoria Nuland, porte-parole du département
d’Etat US, a sommé ses protégés syriens de désobéir. Parallèlement, les agents
de la CIA et leurs acolytes européens ont incité les soldats syriens à passer
dans les rangs d’une armée de mercenaires placée sous commandement de l’OTAN par
le truchement de l’armée turque.
Sans surprise, les QG de l’Armée syrienne libre (ASL) installés au Hatay
accueille désormais des terroristes du monde entier désireux d’en découdre avec
les Syriens patriotes accusés d’être des « infidèles » à la solde de « l’ennemi
chiite ». Ces terroristes y reçoivent une formation militaire, des armes, des
pick-up surmontés de fusils-mitrailleurs, des MANPAD (systèmes portatifs de
défense anti-aérienne) et des appareils de communication performants.
« Nous avons surtout récupéré des roquettes RPG9 puisées sur les stocks de
l'armée saoudienne » jubile un rebelle dans les colonnes du Figaro (28 juin
2012) qui ajoute « Elles ont été acheminées par avion, jusqu'à l'aéroport
d'Adana, où la sécurité turque a surveillé les déchargements avant de savoir à
qui ces roquettes allaient être destinées ». Petits détails : l’armement
saoudien est essentiellement américain et la base turque d’Adana dont parle le
terroriste, est la base américaine d’Incirlik. L’Occident s’est longtemps
défendu de fournir des « moyens létaux » aux terroristes alors que des agents du
Service fédéral de renseignement (BND) croisant au large de la Syrie
transmettaient des informations concernant les mouvements des troupes syriennes
aux services britanniques et US pour qu’elles parviennent aux rebelles (cf. Bild
am Sonntag, 19 août 2012).
Selon le Sunday Times, les services britanniques basés à Chypre ont eux aussi
aidé les insurgés à mener plusieurs attaques. Le fait d’indiquer à ces derniers
à quel moment et quel endroit ils doivent tirer sur les troupes syriennes ne
revient-il pas de facto à participer militairement au conflit ? L’Occident
semble donc loin d’être neutre et habité par de louables intentions. En cette
époque de crise et de récession, il peut même se targuer de mener une guerre low
cost dans laquelle les seules victimes sont des Arabes.
En rappelant ces faits, notre but n’est absolument pas de minimiser les
responsabilités du gouvernement de Damas dans la terrible répression du
mouvement de contestation syrien, les crimes d’Etat commis au nom de « la paix
et la sécurité », le degré de corruption de certains hauts fonctionnaires de
l’Etat, la cruauté de ses services de renseignement, ni l’impunité dont ils ont
trop longtemps bénéficié. Tous ces facteurs internes de la tragédie syrienne
font partie des éléments déclencheurs de la légitime révolte populaire lancée en
mars 2011.
Nous réitérons au passage notre profonde indignation face au degré de
violence du conflit syrien et souhaitons que le peuple syrien puisse accéder à
l’improbable démocratie à laquelle il aspire légitimement.
En soulignant le rôle de l’Occident dans la militarisation de l’Etat syrien,
nous tenons avant tout à renouveler cet avertissement à ceux qui croient en « la
libération » du peuple syrien par la voie des armes : au-delà du caractère
illégitime de l’action de nos pompiers pyromanes, celle-ci a pour seul résultat
l’augmentation de la souffrance de ce peuple et entraîne inexorablement
l’humanité dans une aventure aux conséquences que nul ne peut aujourd’hui
mesurer.
Les show médiatique d’un Laurent Fabius qui appelle au meurtre du président
syrien (en déclarant qu’il ne mérite pas de vivre), celui d’un Didier Reynders
qui vient de plaider au sommet de Paphos pour « le devoir d’ingérence » en Syrie
ou les déclarations scandaleusement violentes de l’administration Obama ne font
que précipiter l’humanité vers ce chaos.
Hier -au nom du respect de la souveraineté des peuples, de l’humanisme et de
la paix-, nous, avons dénoncé l’invasion de l’Afghanistan sans pour autant
éprouver de sympathie pour les Talibans. Nous avons manifesté contre l’invasion
de l’Irak sans pour autant défendre le président Saddam Hussein. Nous avons
protesté contre l’ingérence occidentale en Côte d’Ivoire sans être des
laudateurs du président Laurent Gbagbo. Nous nous sommes indignés de
l’implication occidentale dans la guerre civile libyenne sans adorer le
dirigeant Kadhafi. Et aujourd’hui, nous nous insurgeons contre l’intervention
militaire en cours en Syrie sans pour autant être des partisans du président
Bachar El-Assad.
Constatant que la destruction de la Syrie ne profite qu’à ses ennemis de
toujours, conscients que seules les initiatives prônant la paix, le dialogue et
la réconciliation pourront offrir une alternative digne et viable au peuple
syrien, nous appelons tous les véritables amis de la Syrie à condamner
l’ingérence de nos dirigeants dans les affaires intérieures de ce pays.
Auteur : Bahar Kimyongür - Comité contre l’ingérence en Syrie (CIS)
Dans le cadre du lancement de notre campagne pour la paix, le dialogue et la
réconciliation en Syrie, nous avions appelé à protester contre l’ingérence militaire
occidentale par un rassemblement devant l’ambassade des Etats-Unis à Bruxelles
le mardi 25 septembre dernier.
Pour le Comité contre l’ingérence
en Syrie (CIS) Bahar Kimyongür - USA : pourvoyeur de terroristes et fauteur de
guerre en Syrie.